L’éternité

Heureuse et pleine de défauts. Etre aimée, pleine de défauts. Ou plutôt, s’aimer elle-même pleine de défauts, d’insuffisance, de petitesse, de mesquinerie, de peur, de panique, de regret, de culpabilité, de renoncement, d’outrage, de vulgarité, et le pire selon elle, de méchanceté. Hum, la liste était longue. Audrey aimait cette liste déjà, elle savait qu’elle était tout cela et tout le reste aussi. La lumière qui vient après l’ombre, la générosité avec l’avarice, la flexibilité avec la droiture, la douceur avec la sévérité, la rebellion avec la règle, la gentillesse avec la brutalité, la grâce après la petitesse, quel subtil équilibre. Elle ne voulait plus être qu’une seule chose, parfaite ou imparfaite, elle se le répétait si souvent. Audrey avait le sentiment d’avoir besoin d’une éternité encore pour s’expérimenter elle-même.  Et pourtant la vie allait ralentir, elle devait s’enfermer encore une fois, le cercle du nouveau allait se rétrécir pendant ce confinement. Mais c’était décidé, elle en ferait un renouveau, en partie virtuel certes, mais ressenti. 

La percée (arcane XI)

Osho Zen Tarot - 11_ Arcano Maior ― RupturaTout prenait sens. Tout se dénouait. Dorénavant la seule ligne directrice était d’être elle-même, de s’éprouver dans toutes sortes de situations. Si simple, si évident, n’est-ce pas? Audrey avait mis 48 ans à intégrer cela physiquement et pas seulement intellectuellement. Elle n’avait jamais triché avec elle-même mais s’était beaucoup “entravée”. La tension interne devenait exagérée, tant de sérieux, de fiabilité côtoyant tant d’excès, tant de vie fantasmée libre, sans limite, une vie facétieuse et tendre, une vie intense et sensuelle, une drogue permanente, une vie pouvant devenir sage car pleinement vécue. Il était grand temps de sortir de sa cachette.  Le Nouveau devait devenir la règle pour trouver des miroirs et inspirations à travers chacune des rencontres, chacune des situations qui allait extraire, révéler une partie encore en sourdine. La tête renversée, Audrey riait à gorge déployée, un sentiment de liberté parcourait son corps avec une résonance sans précédent. Une crise d’adolescence à grand retardement venait de débuter.

Le Nom de la rose

Le succès inattendu du « Nom de la rose », le chef-d’œuvre d’Umberto EcoAudrey était coincée à Paris alors qu’elle aurait du rallier la Dordogne pour le 14 juillet. La Vie en avait voulu autrement et elle était maintenant en train de câliner son chat qui venait de rentrer de la clinique vétérinaire. L’été s’était installé dans la capitale. Audrey savourait ce temps paisible entre gym, café de l’industrie, promenade avec les copains copines, conférences sur Youtube, lectures matinales et nocturnes. Elle apprenait. Elle se sentait comme un moine enlumineur dans le scriptorium du Nom de la rose. C’était un de ses sentiments préférés d’ailleurs. Le Monde pouvait tourner, elle allait à son rythme ayant l’impression qu’elle allait découvrir un mystère. Mais cette fois-ci, la chaleur des nuits d’été ajoutait d’autres songes qu’elle aurait voulu retenir.

« Reset button » ?

Awesome Wallpapers - wallhaven_ccEnfin la liberté retrouvée ! Pas de permission à écrire, pas d’heure à préciser sur un bout de papier absurde. Et pourtant Audrey se sentait comme intimidée en sortant de chez elle. La vue des passants avec des masques écrivait en gros dans sa tête “mais qu’est ce qu’on a foutu pour en arriver là!”. Son coeur se serrait, elle avait honte de la société humaine et d’elle-même. A force de faire les mauvais choix, ceux qui nous séparent de la nature, on s’était mis dans de beaux draps. Mais le grand jeu de la Vie poursuivait son cours et Audrey était bien décidée à faire des choix différents en marchant sur cette Terre. Une bonne dose de volonté et de courage allait lui être nécessaire.   

Note: pour Karin.

Soleil intérieur

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Assise sur son canapé, les yeux fermés, un doux sourire sur les lèvres, Audrey était ailleurs. Depuis quelques temps, elle avait acquis la capacité de changer rapidement son niveau de conscience pour dériver dans un état de bien-être qui l’étonnait à chaque fois. Elle pouvait rappeler ce sentiment de complétude en quelques minutes. Certains morceaux de musique accéléraient le processus de manière prodigieuse et en quelques instants, elle se voyait, sorte d’avatar, en suspension dans l’atmosphère. Son corps, d’abord présenté en étoile comme celui de l’homme de Vitruve, tournait devant elle, souple, sensuel, sans aucune lourdeur. Puis elle flottait dans l’air, totalement libre sans aucune entrave, aucune attente, aucune déception, aucune culpabilité, seulement cet irrésistible mouvement circulaire et ascendant dans cet air tiède qui la soutenait dans l’invisible. Tout était doux, chaud et totalement fluide. Même si le décrochage était parfois difficile tellement ce sentiment de paix absolue était fort, ce shoot de drogue virtuelle était devenu sa centrale d’énergie et son arme de destruction massive en cas d’idées noires.

Réminiscences – Humilité

Les plus beaux sommets du mondeAudrey regardait au loin devant elle. Elle ne réalisait pas qu’elle était au Népal en hauteur dans les Annapurna devant une grotte cachée par une cascade. Seule avec son guide resté juste un peu plus bas, elle contemplait la vallée brumeuse que le soleil commençait à réchauffer. Quelque chose lui semblait irréel, elle se sentait extrêmement vivante et en même temps en complet décalage sans pouvoir expliquer pourquoi. Elle ne connaissait pas du tout ce sentiment. Ce voyage était intense, les paysages, les rencontres, les efforts, les sensations, les odeurs, les couleurs, rien ne la laissait indifférente. Elle gardait notamment en elle ce souvenir de marche, dans le lit du fleuve Kali Gandaki, au pied des montagnes majestueuses du Dhaulagiri et des Annapurna, dans une lumière dont la limpidité n’existait nulle part ailleurs. Elle s’était sentie minuscule, sans importance, devant cette nature  imposante, immuable, que les nuages venaient caresser dans le silence du vent. Un sentiment de profonde humilité s’était gravé dans son coeur.

 

Réminiscences – Soleil féroce

The Captivating Underwater Photographs of Enric Adrian GenerLe regard vers l’azur, Audrey était émerveillée par la couleur de la mer. On aurait dit que les rayons du soleil se fracassaient sur cette masse dense, profonde, mystérieuse. Tout semblait absorbé. Même si elle aimait cette vue sur la Méditerranée, Audrey ressentait en même temps un poids sur le coeur. Elle trouvait que cela renvoyait les Humains à un sentiment aigu d’absurdité. Le soleil d’été était bien trop féroce pour ce grand mammifère terrestre. La torpeur gagnait les cerveaux et les corps, la volonté s’anéantissait toute seule, la vie n’avait plus aucun sens. Seule la sieste semblait sauver l’affaire en ce mois d’août sur la Côte.  Heureusement, la soirée apporterait un répit et Audrey irait alors baigner ce corps si mou. Elle reprendrait aussi son petit jeu d’apnée, et cette fois-ci il faudrait dépasser cette poignée de secondes péniblement atteinte la veille : 00:27,81. Le Grand Bleu était loin.

Réminiscences – Départ pour l’internat

Mail - Anne Bulman - OutlookLundi, 6:00 heures du matin. Dans 30 minutes, départ pour l’internat. Le miroir reflète le visage d’une adolescente intriguée. La vie semble si bizarre, si étrange, Audrey comprend tout et rien à la fois. Les joues rebondies, elle ressemble à un bébé malgré ses 17 ans et la sévérité de ses jugements. Elle met du Ricil sur ses cils et vole une pièce de cinq francs dans la tirelire de son petit frère et fait une prière de rédemption en même temps. C’est promis, Audrey rendra tout au centuple mais les chocolatines du matin coutent si chères ! Il est trop tôt, pourquoi diable les humains imposent-ils cela à leurs enfants !  Heureusement sa soeur est là, elle lui montre l’exemple. Et puis, la grande consolation dans tout cela, est le chant si mélodieux du merle du jardin qui annonce un jour nouveau et toutes ses promesses.

Tabula rasa

Open thread - Tabula rasa — The People's ViewLe futur, que réservait le futur ? Audrey en avait ras le bol de ce confinement. Pas vraiment en fait, mais elle aimait bien répéter cela. En réalité, des moments d’absurdité totale l’assaillaient régulièrement, c’était bien clair. Elle oscillait entre un monde étrange ésotérique et la réalité brutale dans laquelle vivaient des millions de personnes des pays pauvres dans lesquels son ONG travaillait. L’espérance chevillée au corps, elle tenait bon, le coeur ouvert. Elle le savait bien, être triste n’arrangerait rien à l’affaire, autant se sentir milliardaire pour pouvoir aider les autres. Son ami Pierre lui avait bien redit, il fallait garder espoir.

Le défi

Oh j'en danserai d'allégresse ! - Eveil et philosophie, blog de José Le RoyLe temps filait malgré le confinement, cela devenait incompréhensible. Les heures de travail s’étalaient allègrement de 8:00 à 23:00 pour adapter tous les projets. Se réinventer en quelque sorte. Il s’agissait de développer une énergie optimiste et authentique, palpable par visio-conférence. Cela poussait à l’épuisement, et en même temps, l’envie de relever le défi l’emportait en permanence. Etrange combinaison qu’Audrey découvrait en elle. Sa bête noire restait ce manque d’activité physique qui devenait malsain. Elle avait beau faire 10 pompes triomphantes le matin, quelques exercices de gym par-ci par là, les mouvements à l’air libre lui manquaient. La liberté restait bien sa valeur cardinale.